Coronavirus et flux de patients : la leçon de Goldratt

Si on raisonne en termes de gestion de flux, il faut améliorer le lien entre les généralistes et les services d’urgence et lever tous les freins à la prescription de chloroquine par la médecine de ville.

On ne présente pas Eliyahu Goldratt, l’auteur de The Goal, le livre de management le plus lu depuis sa parution en 1984. Sa « théorie des contraintes », ou du bon usage des goulets d’étranglement dans un flux de production, a permis d’immenses progrès industriels.

Le Coronavirus, un problème de flux
Mais tout se passe aujourd’hui comme si les dirigeants – et en particulier les dirigeants français – ne l’avaient pas lu.
Et pourtant tout commençait bien. Fin février on expliquait que les autorités essayaient de retarder la contagion pour étaler le flux de malade du coronavirus dans les services de réanimation.
Les lecteurs de Goldratt se sont alors réjouis. Pour traiter au mieux un flux de production – ici un flux de soin -, il faut en effet : premièrement, identifier quel sera le goulet d’étranglement ; deuxièmement, chercher à accroître sa capacité ; et surtout, troisièmement, l’utiliser au maximum de sa capacité en gérant les flux amont.

Le raisonnement des gestionnaires de la crise semblait donc le bon : pour limiter le nombre de morts, il fallait optimiser le flux de malades entre les soins. En l’occurrence, exploiter au mieux les services de réanimation, capacité limitée maillon coûteux et peu flexible du dispositif médical. Et « étaler » les cas de coronavirus pour y éviter une file d’attente mortelle.

Une somme d’erreurs que les industriels ne font plus depuis 20 ans.

Puis ont commencé des erreurs typiques d’une mauvaise maîtrise des flux, que l’on trouvait abondamment dans les usines il y a 20 ans, et encore dans la logistique il y a 10 ans.

D’une part, on s’est concentré sur le goulet d’étranglement sans remettre en question son mode de fonctionnement.
Pour augmenter la capacité du goulet d’étranglement on doit faire feu de tout bois ; l’objectif n’est ni la productivité ni la performance maximale de chaque machine. L’objectif aurait dû être de gérer le maximum de patients, y compris avec une débauche de moyens techniques et humains moins performants : exploitation des capacités des cliniques privées en plus des hôpitaux, évidemment, mais aussi respirateurs de fortune, infirmiers formés sur le tas, organisations artisanales, bref, incitation au système D et aux astuces locales pour accroître ponctuellement la capacité à tout prix.

D’autre part, surtout, il ne semble pas que l’on soit réellement allé au bout de l’idée d’un pilotage des flux. Si l’on avait voulu anticiper, il aurait fallu donner aux généralistes des moyens pour être aux premières loges et leur permettre d’alimenter en informations la gestion du « stock intermédiaire » de malades.
L’absence de masques et l’absence de tests ne leur donnait aucun moyen pour être les pilotes déconcentrés du flux. Le résultat, pour une maladie dont les symptômes sont parfois ténus, a été une forte sous-estimation non seulement du nombre de cas mais surtout de la gravité des situations. Le diagnostic du SAMU au téléphone, « vous êtes sans doute infecté donc restez chez vous », ne permettait absolument pas d’anticiper la réalité de l’état des patients ; l’absence de masque ne permettait pas de protéger leurs proches.

Mettre l’accent sur le maillon clef avant les urgences : les généralistes
Du coup, les services d’urgence sont menacés de saturation – ce qui au global n’était peut-être pas évitable – mais surtout, ils le sont d’une façon anarchique, hétérogène et non répartie, sans aucune anticipation, ce qu’auraient, au contraire, permis des tests massifs et l’assignation d’un rôle clair aux généralistes comme relais dans la gestion des flux.
L’hôpital s’est conduit comme une citadelle saturée qui dit de loin à la population, au porte-voix, de se cloîtrer en priant pour que ce soit efficace au global. Mais de gestion concrète des flux d’entrée, d’anticipation concrète entre la population et l’hôpital, point.

La Chloroquine ne peut qu’être bénéfique au flux
Quant au débat sur l’efficacité de l’hydroxy-chloroquine combinée à de l’azithromycine, il est sans doute trop tôt pour avoir des certitudes « scientifiques » et statistiques.
Mais s’il y a une chance, même faible, de faire diminuer le nombre de cas graves, c’est-à-dire de détourner et de ralentir une partie du flux, il faut immédiatement demander aux généralistes de les prescrire massivement dès la premières suspicion afin de soulager le goulet que sont les services de réanimation. Des centaines de vie seront sauvées, non pas directement par le traitement mais indirectement par ce désengorgement.

Sous l’angle de la capacité de traitement des services de réanimation, on pourrait aussi se demander s’il valait mieux mobiliser toute la nation pour aider ces services à fonctionner, fabriquer masques, tests et respirateurs de fortune, ou bien la confiner… Mais c’est un autre débat.

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