Dramatiser, cliver, focaliser : comment le Brexit éclaire sur le déblocage des situations coincées.

On a commenté à juste titre le talent de Boris Johnson qui a réussi, en 6 mois, un retournement peu prévisible. Au-delà de son aspect délicieusement débraillé, c’est indéniablement un politique habile et courageux, fin lettré, et orateur brillant.

Mais la véritable raison de son succès est la stratégie qu’il a adoptée. C’est une méthode très contre-intuitive qui a consisté simultanément à Dramatiser, à Cliver et à Focaliser.

Constat de départ d’une situation bloquée à triple tour : des délais irréalistes, des forces majoritairement hostiles, des difficultés techniques insurmontables. Boris Johnson a réussi parce qu’il a, de front, revendiqué les délais irréalistes, adopté une stratégie du faible au fort et résolu un problème technique insolvable.

Dramatiser : en acceptant les délais imposés, Boris Johnson a semblé se compliquer la tâche. En fait, il a démontré sa détermination et imposé à ses adversaires une surenchère qui lui redonnait des marges de manœuvre. En défendant avec emphase un calendrier qui lui était, en fait, imposé depuis le début, il a pu, lorsqu’il fut obligé, en octobre, de prendre du retard, le présenter comme une concession temporaire faite à ses adversaires. Au lieu d’être demandeur de concessions, il était devenu maître du jeu.

Cliver : face à une opposition politique majoritaire, un mélange redoutable d’hostilité de principe au Brexit et d’hostilité factuelle aux solutions techniques possibles (principalement le back-stop), Boris Johnson a pris tout le monde de front. Car en revendiquant son opposition aux anti-Brexit sans prendre d’engagement sur les conditions techniques de sa réalisation il arrivait à fédérer contre lui des oppositions contradictoires : vraiment seul contre tous. Mais cette adversité-même lui permettait de légitimer des solutions hors norme – tentative constitutionnellement limite, no deal,… – et de pousser ses opposants à la faute face à sa propre légitimité. Sa détermination finit par créer une vraie inquiétude sur les limites qu’il oserait franchir. De sorte que c’est quand il fut apparemment humilié par le parlement et par Bruxelles, en septembre, que Boris Johnson fut le plus fort pour obtenir des concessions.

Focaliser : pour résoudre la difficulté technique bloquante. Boris Johnson, qu’on dit pourtant peu intéressé par les questions de détail, fit « tricoter » une solution très audacieuse – qui a demandé une mise à plat complète d’arcanes techniques que peu maîtrisent – et qui permettait de sortir de l’alternative mortifère back stop/frontière. Ce faisant, il prenait ses opposants à revers ; tout en créant une nouvelle opposition – mais marginale – à cette solution inattendue. La solution trouvée a beaucoup d’inconvénients qu’il faudra résoudre patiemment ensuite, mais elle permet vraiment de résoudre l’équation au moins dans les termes où elle était posée jusque-là.

On pourra faire remarquer que Boris Johnson a apporté une solution technique fort imparfaite, n’a pas rigoureusement tenu son délai ; et qu’enfin il est passé par une situation de minorité périlleuse qui a duré deux mois. Mais ce faisant, il a vraiment débloqué la situation. Et donc triomphé politiquement par la suite.

Cette méthode de dramatisation combinée à un approfondissement patient ne fonctionne que si elle est utilisée à fond et de façon très synchronisée. Elle est risquée – parce qu’il faut faire très vite, avec une mobilisation adéquate d’experts très inventifs capables de surprendre par des solutions hors cadre, à la fois sur le plan technique et sur le plan politique. Mais fortuna audaces ridet.

Surtout cette phase de déblocage doit impérativement être de courte durée. Une fois la situation débloquée, il faut consolider, approfondir les solutions, ce qui demande un changement de posture complet. Dans la phase qui vient maintenant, Boris Johnson va devoir adopter la stratégie exactement inverse : temporiser, rassembler et dézoomer

Temporiser : ralentir le rythme et agir dans la durée pour réussir la mise en œuvre dans le détail.

Rassembler : réconcilier partisans et opposants et prendre en compte les objections pour ne pas passer à côté d’obstacles qui n’auraient pas été vus.

Enfin dézoomer pour appréhender toutes les conséquences des solutions mises au point dans la phase de déblocage et les traiter une par une.

C’est une marque des très grands dirigeants, de ne pas chercher à temporiser quand il faudrait dramatiser, à rassembler quand il faudrait cliver, ou à dézoomer quand il faudrait focaliser. Boris Johnson n’est peut-être pas un modèle capillaire mais il est indéniablement un maître des stratégies de transformation complexe

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